Combien de jeunes filles n’ont-elles pas déjà entendu résonner un discret « pssit chabine ! » lors de leurs déambulations dans les rues animées de Pointe-à-Pitre ? Que leur teint soit clair ou non, cette appellation est devenue monnaie courante aux Antilles. Les termes « mulâtre » et « créole » s’immiscent également naturellement dans les conversations. Cependant, peu de personnes s’interrogent sur l’origine véritable de ces qualificatifs et sur leur portée. Dans cet article, nous allons explorer ensemble les racines de ces mots et tenter de comprendre pleinement leur signification.

L’histoire du mot chabin-e

chabine

Le terme « chabin » désigne actuellement une personne à la peau claire et aux traits négroïdes, issue de deux parents noirs.

Bien que ce terme ne figure pas dans les dictionnaires universels tels que le Larousse, il est répertorié dans les dictionnaires de langue créole, comme celui de Ludwig, Montbrand, Poullet et Telchid. Un exemple donné dans ce dictionnaire est « un nègre à la peau claire et aux cheveux crépus blonds ».

Cependant, le sens originel de ce mot est tout autre : il provient du nom vulgaire d’hybrides du bouc et de la brebis, un hybride ovin/caprin. Pendant l’esclavage, cette appellation trouve son origine, les esclaves étant souvent comparés à des animaux.

Cette désignation revêt différentes significations selon le genre humain. Pour les femmes, on peut entendre des termes tels que « chabine dorée » pour décrire une femme aux cheveux « roux » et aux yeux parfois verts, mais aussi « chabine kalazaza », bien plus péjoratif, signifiant littéralement « gourmande de sexe », les chabines étant réputées pour être insatiables. Pour les hommes, on retrouve « chaben chapé », indiquant que le chabin a « échappé » à la condition sociale des Noirs grâce à sa peau claire, un terme à connotation péjorative héritée de l’époque de l’esclavage.

Dans la littérature antillaise ancienne, des références à de mauvais chabins, empreints d’aigreur et d’agressivité, sont présentes. La chabine, souvent qualifiée de « tit-chabine », est admirée pour sa beauté, mais également perçue comme inquiétante. Un dicton souligne que la chabine « mord les oreilles ». Lorsqu’un auteur introduit un chabin ou une chabine dans son récit, cela suggère un personnage inquiétant, doté de pouvoirs étranges. Ces personnages, ni tout à fait blancs ni tout à fait noirs, avec des traits des deux côtés, sont souvent dépeints comme sensibles et maladivement sujets aux angoisses, échappant à tout contrôle. Ils se voient attribuer le plus souvent le rôle de méchants.

Dans la vie quotidienne, la chabine est souvent réputée pour avoir un caractère difficile, et il n’est pas rare d’entendre qualifier une femme de « vielle chabine ».

D’où vient le mot mulâtre ?

mulâtre

Le terme « mulâtre » fait référence aux individus métis issus d’un parent noir et d’un parent blanc, ou encore de deux mulâtres.

L’origine du mot « mulâtre » remonte à l’espagnol « mulatto », signifiant mulet. Les esclavagistes avaient l’habitude de qualifier les enfants résultant de vi*ls commis sur leurs esclaves africaines de mulets. Le mulet, hybride stérile issu de l’accouplement d’un âne avec une jument, symbolisait dans l’esprit des colons l’union jugée contre-nature avec une africaine, comparée à l’hybridation de deux espèces.

Les premiers mulâtres sont les descendants d’Européens et d’esclaves africaines durant les débuts de la traite occidentale, initiée en 1441. Leur teint était associé à la pauvreté héritée de la condition d’esclave. Ainsi, le mariage entre une personne d’ascendance africaine et un béké ou un mulâtre était considéré comme une ascension sociale. Cependant, le pouvoir économique des békés et des mulâtres se transmet de génération en génération, expliquant les disparités sociales persistantes aujourd’hui.

femme mulâtre

Le statut privilégié du mulâtre résultait de la combinaison du sang blanc et de la force noire, suscitant à la fois haine et agacement chez les blancs et les noirs en raison de sa position. Actuellement aux Antilles, certaines personnes pensent encore que les individus métissés sont plus beaux en raison de leur peau claire.

Chaque famille aspirait à éclaircir sa lignée pour échapper à la pauvreté et à l’esclavage. Certains mulâtres évitaient ainsi le contact avec les noirs en se mêlant aux blancs dès que l’occasion se présentait.

L’historique du mot « créole »

Le terme « créole » fait référence à une personne née aux Antilles de parents européens ou métissés qui se sont installés dans la région.

L’origine de ce mot remonte au nom d’une race bovine française, la Créole. Initialement associé aux animaux d’élevage, le terme a été transposé à l’homme, établissant un lien direct entre l’homme noir esclave et l’animal. À l’origine, un créole désignait une personne née sur place de parents venus d’ailleurs, créant une distinction entre les « nègres créoles » (nés localement) et les Africains amenés en esclavage.

Cette dénomination ne se limitait pas aux êtres humains, mais s’appliquait également aux animaux, tels que les poules créoles ou les chevaux créoles, en opposition aux poules achetées sur le marché ou aux chevaux importés.

La signification du terme « créole » varie selon le territoire où il est utilisé. Principalement en Guadeloupe et en Martinique, il est associé aux blancs créoles avec une connotation plutôt péjorative (appelés Grands Blancs en Guadeloupe, Békés en Martinique). Ces individus détiennent les plus grandes richesses des îles, car l’héritage demeure au sein de la famille.

Ainsi, le terme « créole » peut contribuer soit à diviser en marquant une séparation précise, soit à rapprocher tous les créoles nés de parents ne venant pas forcément d’Europe, tels que les Indiens d’Inde ou les Syro-libanais, très présents aux Antilles.

En résumé, le chabin, la mulâtresse et le créole découlent directement de l’esclavage, nous comparant à des animaux. Bien que ces termes fassent désormais partie du vocabulaire courant et culturel, leur origine historique n’est pas toujours connue de tous.

Il n’est pas rare d’entendre des protestations contre de telles appellations, car une fois leur origine révélée, elles ne sont pas perçues comme des compliments. Ainsi, bien que l’expression « pssit métisse » puisse sembler moins offensive, elle évitera certainement des querelles potentielles avec une jeune fille ne souhaitant pas être comparée à un hybride.

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